Albrecht Dürer
Le dessin de Dürer possède une chaleur et une mobilité qui lui sont particulières. Ce qu’il a vu en Italie, la ligne calme, le modelé adouci, l’échelonnement paisible des figures, a dû lui paraître insipide, même s’il reconnaît par la suite la dignité de l’apparence sereine. Tout au contraire, chez lui tout est fondamentalement tension et action : d’une façon merveilleuse, le brin d’herbe s’allonge, les plis des vêtements sont accusés, et cela se poursuit jusque dans l’intensité inouïe avec laquelle il saisit les fonctions de l’esprit : le « regard dürerien » est sans pareil.
Ce qui le caractérise personnellement par rapport à ses contemporains, c’est la retenue de tous les mouvements, la ferveur intérieure, plus adaptée à son esprit que l’éruption passionnée. Rien n’est plus grandiose que ses portraits tardifs. C’est en raison de cette retenue de son caractère que Dürer devait être sensible aux formes ordonnatrices rigoureuses de l’art italien. Chez Dürer cependant, ce qui en Italie relève plutôt de la représentation et de l’expression d’un sentiment intense de la vie, tend à prendre un caractère éthique. La forme rigoureuse devient l’expression de l’attitude contenue de l’homme morale. Le respect rigoureux de la verticale et de l’horizontale en tant que directions obligatoires du tableau peut déjà agir en ce sens. Et cela d’autant plus que l’art germanique tend par essence plutôt au non orthogonal (atektonisch) et aux rythmes libres.
Grünewald représente ici l’opposition la plus révélatrice à Dürer, et la différence s’étend jusqu’à la conception de l’image du Christ.
« L’art est dans la nature ». Par ce mot, Dürer professe la même idée fondamentale que la Renaissance italienne. « Natura optima artifex », tout ce qui est beau et grand ne peut être extrait que de la nature.
Le peintre ne présente pas seulement l’apparence mais l’essence des choses. Figurer est pour lui un effort pour connaître la nature.
Heinrich Wölfflin, Réflexions sur l’histoire de l’art