L’Orchestre de Nicolas De Staël
Vingt cinquième tableau
Psychotrope du contour
de Bruno Le Bail
L’orchestre, huile sur toile, 350 cm x 200 cm, Centre Georges Pompidou, Paris
C’est une composition vaste dans laquelle on retrouve plusieurs mouvements joints ou disjoints. “l’Orchestre” est symphonique par son assemblage des masses grises. Il y a une recherche qui s’inspire dans un premier temps du narratif et dans un second temps qui s’en éloigne. Le fait de vouloir retrouver tel élément figuratif me paraît dénué de sens, cela consisterait à penser à l’envers. Que De Staël soit parti de ça où d’autre chose ne concerne que lui. Ce serait dangereusement réducteur (photo “explicative” ) de vouloir retrouver une figuration là où le peintre a volontairement brouillé les pistes pour mieux s’en affranchir.
Photo “explicative”, Gits Delphine
La symphonie est ailleurs, il faut la chercher dans les joints, entre les espaces (photo détail) il y a une circulation, une vibration, un reste de forme, de couleur, un disparaître, un réapparaître qui fonctionnent merveilleusement bien et qui lient les rapports évidents, ce qui est visible aux rapports disparus, invisibles ou peu visibles. De Staël n’est pas un peintre ludique, il faut arrêter d’ essayer de retrouver la figure au risque de passer devant ce qui est fondamental, c’est-à-dire l’orchestration symphonique de la forme. La composition rythmique des aplats ne serait pas aussi pertinente sans les contours qui soudent l’espace. C’est une matière grise en majorité qui s’articule, se déploie pour transformer le voir, le paraître vers une perception ultrasensible entre le son et sa matérialisation possible. Il faut comprendre cette déviation de la figure vers la note, non pas comme une abstraction mais au contraire comme une figuration renouvelée, différente, substantielle, primitive. La matrice se nourrit du visible pour mieux s’en défaire tel est le processus de cette œuvre. “La peinture dit Merleau-Ponty n’est jamais tout à fait hors du temps, parce qu’elle est toujours dans le charnel.” Il y a une sensualité dans cette matière, elle est omniprésente dans l’œuvre de De Staël, elle prend racine dans l’hésitation, dans le chevauchement entre deux formes. Le débordement qui recouvre le joint parfois est adjacent à une autre forme. Ce recouvrement partiel donne une vie toute particulière à la lecture psychotrope du contour ; la ligne ainsi obtenue sous-jacente se libère de la forme pour devenir indépendante. Dans la fabrication on est aux antipodes de Matisse, la ligne noire sur les carreaux de faïence dans la chapelle de Vence, mais dans le concept les deux artistes se rejoignent. D’une part par la tentative d’effacement de la forme géométrique primaire et d’autre part par l’autonomie de la ligne. La ligne qui se sensibilise par la projection chromatique des vitraux sur la surface chez Matisse et par le surgissement des couches profondes chez De Staël.
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