Une robe-ciel
de Bruno Le Bail
Mr and Mrs Andrews, Thomas Gainsborough, Bruno Le Bail
Mr and Mrs Andrews, Thomas Gainsborough, Bruno Le Bail. Madame Andrews aussi droite que le tronc, c’est une position de répétition entre deux éléments apparemment distinct. Cependant, le tronc de l’arbre a de légères courbes que n’a visiblement pas madame Andrews. Seule la courbe de son chapeau nous rappelle curieusement celle de la branche qui se trouve un peu plus haut. Répétition rythmique entre le couple humain et le couple d’arbres sur la droite. Ce sont des verticales qui amplifient l’effet de perspective et qui se prolongent jusqu’à l’arrière plan (les deux arbres qui se détachent du bois).
Il y a une volonté chez Gainsboroug de traiter les personnages y compris le chien comme un paysage. On retrouve quasiment les mêmes tons sur le décor et sur les individus. La robe est un véritable ciel tourmenté, de même que le ciel est un motif de tissu (ou presque). Le jeu entre ces deux éléments est troublant, comme si le ciel prenait la place de la robe. Le corps de madame Andrews devient inconsistant et infini. Alors que celui de son mari est un véritable buisson sinon ardent tout du moins tourmenté. Le chien quant à lui semble plus proche d’une redite de la racine de l’arbre. Il semblerait qu’il y ait une certaine poésie, une passion entre ces corps alors que leurs visages nous montrent le contraire. Un certain ennui voire une lassitude, surtout présent chez madame. Son visage semble agacé.
Ce tableau est très énervant! Son aspect champêtre, lissé, calme n’est que pure formalité car en réalité tout contredit cette sensation. Il y a de l’eau dans le gaz, c’est évident! L’orage est imminent et pourtant rien ne viendra perturber cette scène figée dans l’espace et dans le temps. On reste dans cet état d’attente, ad vitam æternam et précisément c’est dans ce hors temps qui n’a ni passé ni futur que la peinture prend tout son sens. Le narratif n’est pas, seule la peinture « existe » pour elle même. Elle se raconte autrement dans un langage incompréhensible et cependant parlant.
Il y a une communication évidente entre les jaunes verdâtres, les orangés et les gris froids bleutés. Ce dialogue est d’une grande éloquence. Les passages entre ces tons sont admirables. Les lumières accompagnent cette conversation avec finesse comme ce vert clair dans l’entre-jambe de monsieur Andrews qui a pour effet de mettre sa cuisse gauche en avant pour la différencier de la droite et de lui donner ainsi une profondeur évidente. L’harmonie entre les tonalités chaudes et froides est proche de la perfection ; aucune dissonance, les tons sont sans bavure, pas une trace visible du moindre coup de pinceau, polis et lumineux comme un bronze de Brancusi. Gainsboroug est le peintre de cette lumière si particulière, celle qui atteint son apogée juste avant de disparaître, dévorée par les ténèbres.
Mr and Mrs Andrews de Thomas Gainsborough (1748-49), huile sur toile , 70 cm x 119 cm, National Gallery, Londres